04 octobre 2011

KO



KO
Éditions è®e numérique
56 pages
Format PDF
ISBN : 978-2-915453-75-1

Conformément à l’entrée n° 101 de l’encyclopédie OXO, ce numéro recense les dégradations subies par différentes icônes de l’histoire de l’art, suite à leur prolifération sur internet et aux multiples compressions informatiques qui leur sont appliquées.

En vente sur le site è®e numérique.

16 août 2011

Démarques



DÉMARQUES
Éditions è®e numérique
56 pages
Format PDF
ISBN : 978-2-915453-72-0

Conformément à la définition n°167 de l’encyclopédie oxo, ce numéro reproduit sur fond blanc cinquante marques commerciales rendues illisibles par effet mosaïque.

En vente sur le site è®e numérique.

09 août 2011

GENDER SURPRISE

[GErmany+NeDERland+SURiname+saotoméetPRIncipe+suisSE]
(1) Morceau d'encyclopédie caché dans une revue [cf. Dissociation analytique, oxo, Tina].
(2) Parodie d’œuf “Kinder Surprise” d'où peuvent s'échapper d’autres parodies [> oxo 1257].

oxo 1257
Titre : “Gender Surprise”
Nombre de pages : 16
Impression officielle : noir
Tirage tatoué : 100 exemplaires
Nombre de bonus : 1
(le bonus est constitué par la revue TINA qui entoure le numéro d'oxo)

52 exemplaires postés le 9 août 2011
Nombre d'exemplaires disponibles à ce jour : 48

20 mai 2011

BLOW UP

[BiéLOrussie+soWjetUnion+opeP]
(1) Agrandissement d’un contenu d’oxo fixé au mur sur une couverture de lit. Les pages intérieures (de 12 à 14 selon qu’il existe ou non des pages de garde ou des pages “bianca”) sont traditionnellement présentées sur deux lignes sous la forme de tirages photo encadrés, tandis que les deux couvertures contenant le titre de la série et les informations administratives temporelles (courbe des abonnés, message) sont remplacées par une couverture de lit multicolore en polyester ou acrylique. Le titre de la série est écrit à la main en écriture Muttum à proximité du Blow Up. L’acquéreur obtient le droit de supprimer la couverture pour ne conserver que l’essentiel (le contenu d’oxo). [Cf. Bianca, Cartel, Chemin de fer, Page de garde, Révolution copernicienne.]
(2) Série de photos de Blow Up oxo accompagnées d’un texte revendicatif (“Act Up / Blow Up”) [> oxo 475].
[Annexe]
Les Blow Up d’oxo sont composés d’une couverture et d’un certain nombre de pages intérieures. Ladite couverture n’est pas celle d’un livre ou d’une revue mais celle d’un lit, en laine ou en polyester, clouée au mur et prête à accueillir des pages déjà publiées en taille réduite dans oxo. Présentées sous la forme de chemins de fer éditoriaux, ces pages, qui sont maintenant des tirages agrandis et encadrés, voient leur rigueur psychique ou leur froideur visuelle enhardies par ce surprenant socle frontal. C’est évidemment un clin d’œil au dispositif utilisé par Raymond Hains en 1947 pour ses photographies hypnagogiques fixées sur serpillière, mais c’est surtout un acte de rupture dans l’histoire de la revue d’artiste.
Les couvertures sont là pour envahir l’espace et séduire l’œil, avec leur moelleux, leur caractère décoratif et drôle. C’est paradoxalement leur kitsch, leur pauvreté artistique, qui donnera au spectateur la sensation qu’il est face à une œuvre d’art et non face à une simple revue redimensionnée. Mais la quintessence de l’art se situe en réalité dans ces pages recouvertes d’encre qui expriment mieux la “cosa mentale” que toute tentative de séduction visuelle ou monumentale. Les Blow Up d’oxo ont l’ambition de se tenir en équilibre sur la frontière qui sépare la revue du tableau, puis de bousculer cette frontière, avant de l’effacer complètement, le tableau étant admis comme le nec plus ultra de l’art tandis que la revue d’artiste est trop souvent considérée comme un produit dérivé de seconde zone, alors que ses conditions de production posent parfois plus de questions d’ordre artistique que la peinture. D’autres catégories telles que la photographie ou la vidéo ont connu le même sort puis ont été réévaluées quand on a découvert leurs qualités propres.
Loin d’être une histoire à dormir debout, le Blow Up d’oxo est une revendication et s’il emprunte son nom au domaine de la photographie, c’est dans l’espoir d’obtenir la même reconnaissance et la même liberté, après quoi il pourra se débarrasser de son costume d’apparat, de sa “couverture”, et exister dans sa véritable identité de revue d’artiste : on saura alors que ce médium possède la périodicité et qu’il est moins “fini” que le tableau, dans le sens où il doit se régénérer à chaque saison. Le lien qui unit tous les numéros d’oxo est bien plus fort que celui qui existe entre les différents tableaux d’un peintre (à l’exception notable de Roman Opalka). Mieux : chaque numéro d’oxo peut voir son propre contenu évoluer, en dépit de toute chronologie et de tout imprimatur, parce qu’il fait partie d’un ensemble à caractère encyclopédique dont l’une des principales qualités est de pouvoir évoluer.
Les Blow Up ne remplacent pas mais viennent compléter les Transmutations, ces objets issus d’oxo qui avaient initialement pour fonction d’assurer la promotion de la revue et qui ont rejoint ensuite le marché de l’art, dans le but de financer la recherche et le développement de l’entreprise éditoriale. Des dispositifs auxquels il faudra ajouter les Simulacra, des représentations de contenus d’oxo imaginaires qui n’apparaîtront qu’en dehors de l’espace de la revue. La publication pourra alors se concentrer sur elle-même, déconnectée de tout contenu anecdotique, offrant ainsi à son auteur la possibilité de produire dans une parfaite harmonie schizophrénique une œuvre spectaculaire en même temps qu’une œuvre sans concession.
Pascal Le Coq 021205



11 mai 2011

HYPNOSE

[cHYPre+NOrvège+auStraliE]
(1) Technique permettant de faire croire qu'un système de valeurs artistiques n'est pas artificiel [cf. Convention collective, La Toile].
(2) Masque dont les orifices diffusent de la lumière [> oxo 107].







DEPRESSION

[DElaware+chyPRE+biéloruSSIe+japON]
(1) Chute du nombre d’abonnés ne provoquant pas une modification formelle d’oxo [cf. Black hole, Construction, Glory hole, Principe de variabilité].
(2) Groupe de trous présents sur un objet du quotidien et reproduits en découpe sur une toile blanche [> oxo 93] [> oxo 180].







07 avril 2011

Polygramme polychrome


Je n'ai pas peur de la couleur




Socle humain








Détail d'oxo 1243

10 mars 2011

HYPEROBJET D ART

[Haïti+égYPte+camEROun+azerBaïdJan+viETnam+rwanDA
+capveRT]

(1) Ce à quoi tend l’expérience oxo au-delà de toute anecdote, de tout détail et de tout événement circonstanciel [cf. Bibliothèque, Figure, Harmonie, Modèle].
(2) Produit d’hypermarché contenant de manière involontaire la signature d’un artiste sur son emballage, par le principe du logogriphe ou de l’homonymie. La révélation de cette signature est obtenue par la suppression des signes superflus. Ex. Un paquet de Kleenex est un hyperobjet d’art du peintre Klee. [> oxo 5].


[Annexe]
Les objets de consommation vendus dans les hypermarchés et les grands magasins sont devenus des œuvres d’art, selon l’inévitable principe du ready made inventé par Marcel Duchamp (cf. le séchoir à bouteilles acheté au BHV). Puis les œuvres d’art sont devenues des objets de grande consommation, quand le public a commencé à idolâtrer l’art et à consommer son merchandising (cf. les T-shirts, cravates et autres reproductions vendues au Louvre).
Dans ce contexte, l’hypermarché de l’art s’inscrit comme forme radicale du marché de l’art. L’hypermarché de l’art, en effet, ne fait plus la différence entre l’objet de consommation devenu œuvre d’art et l’œuvre d’art devenue objet de consommation. L’hyperobjet d’art (tout objet présent dans l’hypermarché de l’art) est par essence œuvre d’art et objet de consommation. Il n’est ni l’un avant d’être l’autre, ni l’autre avant d’être l’un, il est les deux, simultanément et dès sa conception.
A la différence du ready made, l’hyperobjet d’art, synthèse parfaite de l’objet de consommation et de l’œuvre d’art, n’obtient pas son statut d’œuvre d’art par la volonté de l’artiste, mais par celle, involontaire, du fabricant. De même qu’il n’obtient pas son statut d’objet de consommation par la volonté du marché de l’art mais par celle, une fois encore, mais cette fois-ci volontaire, du fabricant qui par ailleurs n’a aucune prétention artistique. La caractéristique de l’hyperobjet d’art réside en effet en ce qu’il possède son double statut par la présence naturelle d’une signature d’artiste immédiate ou cryptée sur son emballage, signature étalée au grand jour mais souvent rendue illisible par la profusion de signes qui recouvrent la surface de l’objet (voir la complexité des packagings dans les hypermarchés).
Cet environnement parasitaire confère à la signature un contenu sémantique d’ordre commercial et publicitaire (il s’agit le plus souvent d’une trademark, d’une marque commerciale déposée à l’INPI et remplie sémantiquement par une série de campagnes publicitaires). Il suffit d’“effacer” ce trop-plein de signes pour que la signature d’artiste redevienne lisible et que soit dévoilé le statut naturel de l’objet. L’effacement des signes perturbateurs consiste à recouvrir d’une couleur neutre (celle du fond de l’objet par exemple) la surface de l’œuvre, en préservant la signature d’artiste naturellement présente. Cette pratique ne transforme pas en œuvre d’art l’objet qui de toute façon l’est déjà de manière intrinsèque ; elle n’a qu’un objectif d’information, de révélation. C’est en quelque sorte le préambule nécessaire au décryptage de l’objet. Lorsque cette révélation est assimilée par le spectateur, l’hyperobjet d’art n’a plus besoin de cette couche de peinture révélatrice et retrouve définitivement son statut, qu’il soit exposé ou vendu dans une galerie, un musée, une boutique ou un hypermarché, et quel que soit son nombre d’exemplaires.
Ainsi l’hyperobjet d’art peut-il être appréhendé par le grand public comme ce qu’il na jamais cessé d’être : une véritable œuvre d’art de grande consommation dotée d’une véritable signature d’artiste garante d’authenticité. Et ce pour un prix qui reste très abordable. PLC+K

04 mars 2011

POLYGRAMME POLYCHROME

[Papouasie+cOted’ivoire+aLgérie+chYpre
+belGique+andoRre+afghanistAn+guatéMala+rouManie+chinE
+Pakistan+mOldavie+aLbanie+libYe
+miCronésie+baHrein+iRlande+camerOun+zaMbie+francE]

(1) Bonus multicolore envoyé lorsque le principe de variabilité ne permet pas d'imprimer oxo en couleur. Il s'agit le plus souvent d'un dessin tracé sur un support situé en dehors de l'espace de la revue, c'est-à-dire en dehors de la page imprimée (par ex. sur un feuillet glissé à l'intérieur du numéro ou sur l'enveloppe utilisée pour l'envoi). Le polygramme polychrome représente le plus souvent le nom du destinataire et certaines de ses caractéristiques (coordonnées, date et lieu de rencontre, citations, etc.) et, s'il concerne principalement les abonnés d'oxo, peut se développer auprès d'autres personnes ayant un certain rapport avec l'histoire d'oxo [cf. Body colors, Bonus, Noir et blanc, Principe de variabilité, Trahison].
(2) Ensemble de monogrammes multicolores constituant une frise. Chaque mot entrelacé constituant un polygramme polychrome est composé individuellement en écriture symétrique MUTTUM, toute nouvelle lettre inscrite étant tracée au même endroit que la précédente, mais dans un corps supérieur et dans une couleur différente suivant cet ordre : noir, marron, olive, vert, cyan, outremer, magenta, rouge, orange, jaune, noir, marron, olive, vert, cyan, outremer, magenta, rouge, orange, jaune, etc. La succession de monogrammes composant le polygramme polychrome peut être écrite horizontalement ou verticalement, selon l’espace offert par le support [> oxo 1271].



03 mars 2011

02 mars 2011

ENTRETIEN POST MORTEM

[Emirats+baNgladesh+vaTican+barRbade+côtEdivoire+iTalie
+micronésIe+albaniE+afghanistaN+Papouasie+marOc+palaoS
+turkmenisTan+Madagascar+sOmalie+cameRoun+ausTralie+irlandE
+vietnaM]

(1) Prise en charge de l’expérience oxo par un artiste héritier après la disparition de l’auteur original [cf. After, Héritier].
(2) Interview spirite d’artistes morts tels que Piero Manzoni, Andy Warhol ou Marcel Duchamp [> oxo 4] [> oxo 318] [> oxo 319].
[Annexe]
Cette interview de Piero Manzoni fait suite aux deux entretiens post-mortem que nous avions réalisés en 1993 et 1994 avec les fantômes d’Andy Warhol (1) et de Marcel Duchamp (2). Cette fois-ci, nous voulions invoquer l’esprit de Manzoni, non pour le seul plaisir de le déranger mais parce que la question de la “Boîte de merde” devenait de plus en plus lancinante.
Au début des années 60, l’artiste milanais scandalisa l’Italie en enfermant ses excréments dans 90 boîtes de conserve qu’il signa et vendit pour l’équivalent de leur poids en or. Ces œuvres sont aujourd’hui hautement prisées par l’art contemporain et chacune d’entre elle est estimée à quelque 200 000 F. Mais que contiennent vraiment ces boîtes? On se souvient que Bernard Bazile en fit ouvrir une et qu’il découvrit une seconde boîte à l’intérieur, ce qui relança l’intérêt pour le mystérieux contenu. Trente-quatre ans après sa mort, l’enfant terrible de l’avant-garde italienne a accepté de parler, à la condition sine qua non que notre séance de spiritisme soit arrosée de gin, de liqueur et de vin chaud...
- Pourquoi êtes-vous mort, Piero Manzoni ? Vous qui disiez pourtant “Il n’y a rien à dire, il n’y a qu’à être, il n’y a qu’à vivre”...
- Piero Manzoni : je suis, puisque je suis là.
- Mais pourquoi êtes-vous mort, précisément ? La cause de la mort.
- J’ai un peu forcé sur la bouteille alors que mon foie était fragile.
- Trente ans, c’était un peu jeune pour mourir.
- Aujourd’hui c’est un âge pour mourir, à l’époque c’était un peu jeune.
- Mais vous saviez que vous alliez mourir jeune. Vous aviez déclaré: “Je mourrai à l’âge de trente-trois ans – comme le Christ. Je vais prendre mes dispositions pour faire imprimer un timbre commémoratif à mon effigie. Et je veux que mon corps soit enfermé dans un parallélépipède en plastique transparent”. Mais vous êtes mort plus tôt que prévu, en 1963.
- C’est pour ça que j’ai mis les bouchées doubles, je n’ai qu’un seul regret: connaissant l’état de mon foie, j’aurais aimé qu’on en fasse un bon pâté à l’armagnac, afin que mes amis puissent me consommer pendant la cérémonie. Maintenant il est trop tard.
- Michel Journiac n’était pas si loin de votre idée, en 1969, lorsqu’il donna à goûter des rondelles de boudin confectionné avec son propre sang.
- C’est vrai, j’avais vu ça d’en haut. Mais j’étais un peu ébloui par les deux bougies qu’il y avait sur la table. J’avais eu l’idée des fioles de sang. Notez que j’avais aussi donné à manger des œufs à mon public. Cent cinquante œufs durs marqués avec l’empreinte de mon pouce. Les goinfres ont tout avalé en soixante-dix minutes !
- C’était moins choquant que vos boîtes de merde.
- Les œufs, ça sort du cul des poules. Les gens ont vu que c’était une œuvre de Piero Manzoni mais pas qu’ils avalaient des œufs fraîchement sortis du cul des poules. C’est comme les boîtes de merde, ce sont aujourd’hui des œuvres de Piero Manzoni qui se vendent très cher non pour leur réalité de boîte de merde mais pour leur état de boîte de merde de Manzoni.
- Justement, que pensez-vous de cet artiste qui a ouvert l’une de vos boîtes (et qui soit dit en passant veut la revendre 400 000 F) ?
- Oui. Bernard Bazile, il fume trop le cigare, c’est mauvais pour la santé.
- On lui transmettra le message. Mais vous savez bien que vos boîtes ont été sacralisées, elles sont dans les plus grands musées, Richard Nicolas le conférencier de Beaubourg a même dit : “C’est quelque chose de presque christique, dans l’esprit de Manzoni, puisque la merde est dans la boîte comme le Christ est dans l’hostie” !
- Il a beaucoup d’humour, j’adore Richard Nicolas. En mai 1961, j’ai créé ces 90 boîtes après avoir eu l’intention de produire les fioles de sang d’artiste. J’ai opté pour la merde parce que c’était plus facile à récolter.
- Ah donc, il y a bien de la vraie merde dans vos boîtes. Parce qu’on n’a jamais su s’il y avait vraiment de la merde dedans. Quand Bazile a fait ouvrir la boîte, il y avait une deuxième boîte, comme dans les poupées russes...
- Si, si, il y a bien de la merde dans les boîtes, de la merde d’artiste, mais j’avais évidemment prévu qu’un malin en ouvrirait une. La supercherie est ailleurs : c’était bien de la merde d’artiste, mais ce n’était pas ma propre merde !
- La merde de qui, alors?
- Celle de mes visiteurs, qui étaient des artistes ou des gens proches de l’art. Je la récoltais dans mes toilettes, à Milan, où j’avais fait installer un petit réceptacle entre la chasse d’eau et le tuyau d’évacuation. Tenez, prenons la boîte ouverte par Bazile. Eh bien figurez-vous qu’elle contient la merde de Ben ! Ben était venu me voir à Milan, c’est Arman qui nous avais mis en contact. Un peu plus tard, je lui ai remis cette boîte contre l’équivalent de 30 grammes d’or, poids de la merde fraîche. Mais il n’a jamais su qu’elle contenait sa propre merde.
- Du coup, la théorie de Nicolas ne tient plus, puisque ce n’est pas votre merde qui est dans la boîte... Quelle était votre théorie ?
- La présence de ces merdes dans des boîtes a quand même assuré ma postérité. Mais ma théorie était plutôt amicale en vérité : quand les gens viennent chez vous, ils s’imaginent qu’ils doivent bien se tenir, être polis et respectueux, mais ils ne pensent jamais qu’en empruntant vos WC ils chient dans votre maison. Si les gens avaient conscience de cela, ils seraient d’abord gênés mais finiraient par en rire et seraient détendus le reste du temps. Donc j’expliquais cela à mes hôtes et cela rendait finalement leur séjour plus agréable, pour eux comme pour moi-même. En contrepartie, je me suis alloué le droit de conserver, secrètement, ce qu’il y avait de plus intime en eux : leur merde naturelle.
- Hormis Ben Vautier, qui a été mis en conserve ?
- La liste est longue mais j’ai maintenant une bonne mémoire : Giuseppe Capogrossi, Pierre Restany, Matko Mestrovic, Henk Peeters, Franco Angeli, Gust Romijn, Mario Arcaini, Arthur Kopcke, Sergio Dangelo, François Morellet, Dadamaino, Vanni Scheiwiller, Marco Santini, Agostino Bonalumi, Kilian Breier, Otto Piene, Arnulf Rainer, Arnaldo Pomodoro, Diter Rot, Angelo Verga, Hans Salentin, Raphael Jésus Soto, Agostino Ferrari, Ettore Sordini, Lucio Amelio, Jean Tinguely, Alberto Lucia, Yves Klein, Arman, Serge Vandercam, Emilio Scanavino, Wilfredo Lam, Alberto Biasi, Armando, Bernard Aubertin, Josip Vanista, Arturo Vermi, Pol Bury, Daniel Spoerri, Manfredo Massironi, Enrico Castellani, Christo, Gaetano Di Martino, Edoardo Franceschini, Marcel Broodthaers, Jeff Verheyen, Günther Uecker, Herman de Vries, Piero Dorazio, Agenore Fabbri, Roberto Crippa, Lucio Fontana, Ugo La Pietra, Franco Garelli, Luisa Majoli, Giorgio Chiarini Boddi, Hermann Goepfert, Hans Haacke, Jan Henderikse, Raffaele Menster, Claudio Papola, Davide Boriani, Oskar Holweck, Tommaso Orlando, Yayoi Kusama, Franco Mazzucchetti, Francesco Lo Savio, Filippo De Gasperi, Heinz Mack, Enrico Baj, Almir da Silva Mavignier, Antonio Bueno, Christian Megert, Hans Hartung, Paolo Scheggi, Piero Dorazio, Uli Pohl, Johannes Schoonhoven, Giulio Turcato, Joe Colombo, Asger Jorn, Giovanni Anceschi, Gabriele De Vecchi, Grazia Varisco, Tino Bertoldo, Ennio Chiggio, Toni Costa, Edoardo Landi et... moi-même !
- Ah, quand même ! Ce n’était pas rien de récolter la merde de quatre-vingt-dix artistes. Vos quatre-vingt-dix boîtes de merde constituent peut-être le plus grand sanctuaire artistique de tous les temps...
- C’était une manière secrète de sceller une relation avec mes contemporains. Lorsque nous organisions un dîner, je devais prendre discrètement des notes pendant le repas à chaque fois que quelqu’un allait aux toilettes, afin de me souvenir de l’ordre de réception des merdes dans le réceptacle. Lorsque quelqu’un tirait la chasse d’eau, un dispositif entraînait la précédente merde dans un tiroir, laissant ainsi le réceptacle vide pour la merde suivante ou pour l’urine s’il n’y avait pas défécation. Je suis peut-être la seule personne au monde à avoir ainsi connu la nature exacte de l’activité de mes invités dans mes toilettes ! Plusieurs mois après, certains se sont vu remettre leur propre merde en boîte, mais des acquéreurs tardifs ont reçu la merde d’un autre. J’essayais quand même de ne pas leur donner la merde d’une personne qu’ils auraient pu détester. Etant donné que la mise en boîte s’est effectuée au mois de mai 61, il m’a fallu conserver certaines merdes pendant plusieurs mois dans un sachet au réfrigérateur. Heureusement, Nanda, ma compagne, était très compréhensive.
- Quel travail ! Mais n’étiez-vous pas dégoûté par cette matière fécale venant des autres ?
- Personnellement je n’avais aucun problème de ce côté-là, je conservais même l’eau usée des toilettes : j’avais eu le projet de la vendre en parfumerie sous le nom d’“Eau de toilette de Manzoni”, mais je n’ai trouvé aucun magasin intéressé.
- Ah ah ! Mais vous qui aviez imaginé le souffle d’artiste, aviez-vous pensé, dans la grande tradition pétomane, au gaz d’artiste qui aurait pu accompagner formidablement vos boîtes de merde ?
- C’était un projet que j’avais proposé à la revue Gorgona en 1961, sous la forme d’un
alphabet pétomane : le A sort du B pour prendre le C, le D sort du E pour prendre Ie F, le G sort du H pour prendre l’I, le J sort du K pour prendre I’L, le M sort du N pour prendre l’O,
le P sort du Q pour prendre l’R ! Mais on ne l’a pas publié à cause de la barrière de la langue, ça ne marchait qu’en français...
- La couleur marron de la merde et le noir des lignes s’opposent à la blancheur, ou plutôt à l’absence de couleur dans vos autres travaux, les œufs durs, les sculptures en peau de lapin, les achromes en coton hydrophile ou en polystyrène expansé...
- Cela revient au même. Dans la mesure où une monochromie devient achrome quand il n’y a aucun rapport de couleur dans une représentation, l’absence de couleur peut être blanche, noire, peu importe. Le noir, le marron signifient l’absence de couleur au même titre que le blanc ou le transparent, d’ailleurs lorsqu’on se place dans la pénombre, les couleurs disparaissent. Par l’absence de couleur, je n’ai pas recherché un art esthétique mais un art vrai, apte à atteindre la pureté et l’éternité.
- La couleur apparaît toutefois dans certains travaux annexes, comme les certificats des “œuvres d’art vivantes” où chaque teinte a une fonction spécifique : le rouge indique que la personne entière est une œuvre d’art, le jaune que seule une partie du corps en est une, le vert indique que la personne est une œuvre dans certaines attitudes... Vous vouliez aussi réaliser des images qui changent de couleur à la chaleur. Et il y a ce fameux projet que vous n’avez jamais réalisé : repeindre la cathédrale de Milan en rose.
- Comme vous l’avez dit vous-même, la couleur dans mon travail avait une fonction d’information, comme les panneaux de signalisation. Mon intérêt pour le temps, le temps qui passe, qui a notamment donné lieu à la création des lignes, m’a poussé à m’intéresser également au temps qu’il fait, à la température, et j’ai imaginé ces tableaux sensibles à la chaleur. Quant à la cathédrale de Milan, ce projet datait de 56 et s’inscrivait dans une volonté de combattre toute idée de style. Par conséquent la couleur par elle-même n’avait aucune importance hormis le scandale ou plutôt le choc quelle aurait dû créer dans mon pays. Mais mon plus grand regret n’est pas cette cathédrale. Ce que je regrette le plus, c’est mon projet de labyrinthe contrôlé électriquement, destiné à des tests psychologiques et à des lavages de cerveaux. Toute ma vie j’ai essayé de laver le cerveau de mes contemporains, de les nettoyer de toutes ces conventions qui gangrènent l’art et la vie.
- Mais ce qui vous a gangrené, vous, c’est la surconsommation d’alcool.
- Non, ce qui m’a gangrené ce sont les critiques acerbes qui n’ont vu que supercherie dans mon travail. L’alcool était une arme d’autodéfense, mais ils l’ont retournée contre moi. Cependant ils ont échoué en partie puisque mon esprit est encore vivace, mais en partie seulement, parce que je vois une résurgence de cet esprit peau de chagrin, allez envoyez-moi un autre verre vers le plafond.
- Levons nos verres à votre santé, à la bonne santé de vos paroles, Piero Manzoni.
- Salute !
- Salute e grazie mille ! 221296
(1) In “Collector” n° 4. (2) In “L’art est moins hermétique qu’un Tupperware” n° 2.

01 mars 2011

ORANGE JAUNE ROSE BLEU

[Oman+fRANce+cambodGE+JApon+brUNEi+ROumanie+suisSe
+BeLgiquE+tuvalU]

(1) Ensemble de lettres utilisé sur le mode anagrammatique pour créer une partie du contenu d’oxo.
(2) Titre d'un ensemble de nouvelles relatives aux quatre couleurs orange jaune rose bleu [> oxo 3] [> oxo 12].


[Annexe]
/
OXO : Les couleurs orangejaunerosebleu sont au centre de votre travail. Pourquoi ce choix ?
PLC+K : Ce n’est pas un choix. Ces couleurs se sont imposées à nous par association d’idées. Lorsque nous étions étudiants aux Beaux-Arts, nous avons concentré nos recherches sur quatre artistes : Kasimir Malevitch, Marcel Duchamp, Salvador Dalí et Andy Warhol. Les deux premiers ont bouleversé l’approche formelle de l’art et par leur action ont incité les deux autres à inventer l’art d’attitude. Notre travail consista notamment à définir des suites logiques, dites “kasimirmarcelsalvadorandy”, en révélant les liens qui unissaient leurs œuvres. Par exemple : Malevitch invente le carré noir sur fond blanc ; Duchamp applique le principe de répétition à cette œuvre et définit l’échiquier (multiple de carrés noirs sur fond blanc) comme ultime pratique artistique puisqu’il abandonne toute production pour jouer aux échecs ; de manière plus triviale, Salvador Dalí réinterprète le carré noir en l’avalant dans une publicité pour le chocolat Lanvin ; Warhol, plus que jamais fidèle à l’esprit duchampien, distribue avec une légère variation les multiples carrés noirs sur fond blanc en sérigraphiant des séries de grilles de mots croisés.
Nous avons découvert que ces liens pouvaient agir également comme dans un jeu de dominos, par associations de signes successifs, un peu à la manière des cadavres exquis surréalistes :
1) le lien formel entre l’œuvre de Malevitch et celle de Duchamp, on l’a vu, c’est le carré noir du suprématisme et celui de l’échiquier ;
2) le lien formel entre l’œuvre de Duchamp et celle de Dalí est la moustache, celle dont M.D. agrémente Mona Lisa et celle dont Dalí fait son signe distinctif ;
3) enfin, le lien formel entre l’œuvre de Dalí et celle de Warhol c’est le dollar, celui d’Avida Dollars, anagramme dont Breton avait affublé Dalí, et celui dont Warhol a fait son leitmotiv et le centre de sa carrière.
Mais où est le rapport avec les quatre couleurs orangejaunerosebleu dans tout cela ? Très vite, ces quatre artistes sont devenus pour nous de véritables personnages de fiction, personnages de films ou de romans, pour s’incarner finalement dans des personnages de dessins animés tout spécialement intéressants pour leur distance avec la réalité : Kasimir Malevitch est tout naturellement Casimir, le monstre souriant de l’Ile aux enfants ; Marcel Duchamp, alias Rrose Sélavy, est la panthère Rrose ; Salvador Dalí est devenu le Marsupilami (Marsupidalí !) à cause de ses structures molles comme la grande queue-lasso du héros de BD ; enfin, plus tragiquement, Andy Warhol s’est réincarné en Schtroumpf, parce que, comme le rapportèrent M.A. Farber et Lawrence Altman dans le New York Times peu après sa mort, “à 5 h 45, l’infirmière Min Chou nota que Warhol devint tout bleu”.
Casimir orange, Panthère rose, Marsupilami jaune, Schtroumpf bleu, tout notre travail est résumé dans cette formule.
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OXO : Les couleurs orangejaunerosebleu sont au centre de votre travail. Pourquoi ce choix ?
PLC+K : Ce n’est pas un choix. Ces couleurs se sont imposées à nous vers la fin des années 80, quand nous avons acheté notre appartement de Pantin. Tout commence dans la cave, alors que nous mettons un peu d’ordre dans le fatras laissé là par l’ancienne propriétaire décédée. Nous tombons sur un vieux sac plastique rempli de pièces de puzzle. Jusque-là, rien d’extraordinaire, mais en détaillant le contenu du paquet nous constatons l’étrangeté du contenu : toutes les pièces sont monochromes — certaines sont orange, d’autres jaunes, il y en a aussi des roses et des bleues. Nous avons mis exactement deux ans à le reconstituer ! Nous aurions dû nous souvenir des mots de Georges Perec dans La vie mode d’emploi, lorsqu’il décrit l’absurdité d’un puzzle totalement blanc. Le résultat fut assez décevant : une succession lassante de pièces orange, jaunes, roses, bleues mais aucun signe, aucune image lisible. Une fois terminé, le puzzle n’avait plus aucun intérêt, et nous allions le jeter à la poubelle quand nous avons décelé au verso ces quelques mots inscrits à la main : “Noé se jura un bel orage”. Cette jolie phrase pouvait laisser penser à un titre de tableau et nous en avons conclu qu’il s’agissait d’une œuvre d’art. Mais de qui ? Sans boîte, sans signature, nous étions tout à fait incapables d’en définir la paternité. Nous avons alors fait encadrer le tableau puis nous l’avons oublié, comme on oublie souvent ce qu’on accroche au mur.
Six mois plus tard, nous allons à la librairie de Beaubourg et nous tombons sur un bouquin consacré à Fluxus où nous voyons une œuvre de Jean Dupuy intitulée Un bel orage. La phrase, signée Noé, est l’anagramme d’“orange bleu” : nous faisons immédiatement le rapprochement avec notre puzzle. Intrigués, nous enlevons le cadre et comparons les deux écritures : ça colle ! Et cela colle d’autant plus que nous découvrons la propriété de la phrase inscrite au dos du puzzle : “Noé se jura un bel orage” est l’anagramme d’“orange jaune rose bleu” ! Nous obtenons l’adresse de l’artiste et lui écrivons pour lui poser la question : “Etes-vous bien comme nous le pensons l’auteur de ce puzzle?”. Une semaine plus tard nous recevons une réponse de Jean Dupuy, accompagnée d’un petit dessin reprenant l’anagramme “bleu orange - un bel orage” : “Chers Le Coq & Kitschcock, quel joli passe-temps vous vous êtes donné. Je souhaite pour vous que ça continue -> (L’auteur du puzzle ->?). Allez, à 1 2 C 4 (avec mes complémentaires). J.D.” Jean Dupuy nie donc être l’auteur du puzzle mais quelques jours passent et nous recevons une autre lettre où l’artiste demande à nous rencontrer. Pour voir le puzzle ? La semaine d’après il vient à Pantin. Face au tableau il déclare : “L’auteur du puzzle, c’est vous !”. Il est vrai que la meilleure défense est l’attaque. Cette rencontre a été le point de départ de notre carrière artistique et c’est pour cela que nous avons inscrit au centre de nos recherches ces quatre couleurs désormais fétiches.
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OXO : Les couleurs orangejaunerosebleu sont au centre de votre travail. Pourquoi ce choix ?
PLC+K : Ce n’est pas un choix. Ces couleurs se sont imposées à nous à la suite de quatre rêves que nous pourrions résumer ainsi :
— Rêve orange. En 1993, deux artistes fous achètent un presse-agrumes et 90 kilos d’oranges. La nuit tombée, ils s’introduisent dans le musée Beaubourg et pénètrent dans l’une des galeries contemporaines. A proximité du kiosque en forme d’orange installé par Bernard Bazile, les deux hommes pressent puis boivent eux-mêmes leurs oranges jusqu’à la dernière goutte car la clientèle se fait rare. Quelques heures plus tard, ils remballent leur matériel et sortent du musée puis vont vomir d’un flot orange dans le caniveau. Le lendemain, personne ne s’aperçoit de rien.
— Rêve jaune. En 1996, deux artistes fous achètent une poêle, un réchaud, une boîte d’allumettes, 250 grammes de beurre et une demi-douzaine d’œufs. En pleine nuit, ils pénètrent dans l’enceinte du musée Beaubourg et grimpent au cinquième étage. Là, ils allument le réchaud, déposent une noix de beurre dans la poêle puis font griller les six jaunes d’œufs en regardant avec envie les Bacon accrochés aux murs. Ils mangent leurs jaunes frits puis nettoient les éclaboussures. Le lendemain, personne ne s’aperçoit de rien.
— Rêve rose. En 1992, deux artistes fous louent une Citroën XM turbo diesel. Leurs correspondants new-yorkais viennent de les renseigner sur l’arrivée imminente à Paris de Barbara Rose, la grande critique d’art américaine. En soirée, ils se rendent à la porte C de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et accostent la critique d’art en se faisant passer pour le chauffeur et le maître d’hôtel de monsieur X. Flattée, madame Rose monte dans la berline et accepte une coupe de champagne, sans se rendre compte qu’un puissant somnifère y a été versé. La nuit tombée, les deux hommes forcent l’entrée du Centre Georges-Pompidou et y transportent le corps endormi de Barbara Rose. Ils la montent au cinquième étage puis l’installent dans le Container zéro de Jean-Pierre Raynaud, à la place de la rose un peu fanée déposée l’avant-veille par l’artiste. Trois heures plus tard, ils remettent la fleur en place, tandis que la critique d’art, encore assoupie, est amenée à son hôtel et déposée dans sa chambre. Le lendemain, personne ne s’aperçoit de rien.
— Rêve bleu. En 1996, deux artistes fous achètent un roulor et un pot de peinture bleue Murnyl. La nuit venue, ils s’introduisent clandestinement dans le musée Beaubourg. Arrivés au niveau des collections contemporaines, ils repeignent en bleu un monochrome d’Yves Klein, au nez et à la barbe des gardiens. Ils remballent leur matériel puis ressortent tranquillement. Le lendemain, personne ne s’aperçoit de rien.
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OXO : Les couleurs orangejaunerosebleu sont au centre de votre travail. Pourquoi ce choix ?
PLC+K : Ce n’est pas un choix. Ces couleurs se sont imposées à nous parce que notre mère nous habillait ainsi quand nous étions enfants. Par un fâcheux concours de circonstances, nous commençâmes notre vie habillés en rose et bleu, bien que nous fussions tous les deux des garçons, puis en jaune et orange. A l’époque, nos parents vivaient à Casablanca et lorsque notre mère tomba enceinte, elle demanda à notre père de ramener la layette de Paris. Il faut se rappeler qu’en 1964, l’échographie n’existait pas, et notre mère qui se voulait prévoyante avait demandé à son mari d’acheter tous les vêtements en double, c’est-à-dire en rose dans l’éventualité d’une fille et en bleu dans l’éventualité d’un garçon. Elle avait tout prévu sauf un détail : qu’elle pourrait avoir des jumeaux, et c’est bien sûr ce qui arriva. Dépassée par les événements, elle n’eut d’autre recours que d’utiliser les deux layettes et c’est comme ça que nous eûmes droit à une garde-robe de fille mêlée à des vêtements de garçon.
Notre père s’était fermement opposé à ce que chacune de ces layettes soit réservée à l’usage exclusif de l’un ou l’autre d’entre nous, parce que, disait-il, on ne sait pas comment peut tourner un garçon habillé tout en rose ! Pour nous distinguer, notre mère dut trouver une autre solution, car notre ressemblance était vraiment frappante. Elle fila un beau matin à la médina après nous avoir confiés à la voisine de la rue de Longwy et revint avec deux sacs : dans l’un, de minuscules babouches jaunes et un petit fez orange, dans l’autre, l’inverse, c’est-à-dire des babouches orange et un fez de couleur jaune. Ainsi, dit-elle joyeusement à notre père, nous ne pourrons plus les confondre : nous n’aurons qu’à regarder leurs pieds et leur tête et nous saurons !
Cette façon de nous distinguer devint traditionnelle pendant neuf ans et, bientôt, le quartier, partagé entre admiration et moquerie, prit l’habitude de nous applaudir à chaque passage sans bien comprendre pourquoi on s’acharnait à nous habiller de la sorte. Des années plus tard, notre mère nous avoua la véritable raison de cette obsession : c’était sa manière à elle de nous préserver, de nous rattacher à cette enfance dont elle ne voulait pas nous voir sortir ; nous pensons aussi que nous étions ses jouets, notre mère était une enfant surprise par sa double maternité et nous étions ses poupées, qu’elle aurait voulues éternelles.
Fort heureusement nous étions bien trop naïfs pour en souffrir, nous étions même plutôt fiers d’apparaître comme une attraction dans cette ville où le soleil a l’habitude de flatter les couleurs les plus vives. Et puis, nous avions cette échappatoire : le soir, en cachette, nous échangions nos vêtements, nos chapeaux et nos chaussures, et passions des heures à nous regarder successivement dans la glace puis face à face, imaginant que nous étions l’un puis l’autre, l’autre puis l’un, jusqu’à ce que nous tombions de sommeil sans plus savoir qui nous étions. Cet accoutrement très particulier nous fut imposé jusqu’en 1973, date à laquelle nos parents divorcèrent et où notre père nous força à porter d’autres couleurs. Nous nous souvenons très bien avoir réclamé à cor et à cri des souliers vernis noirs, parce qu’ils brillaient comme la peau de notre petit voisin Abderrazak dont nous jalousions la couleur d’ébène. Après cette séparation, notre mère ne nous parla plus jamais de ces quatre couleurs, mais le mal était fait : lorsque nous étions enfermés dans notre chambre, nous passions le plus clair de notre temps à nous raconter des histoires où ces couleurs jouaient un grand rôle ; nous réinventions les aventures du petit chaperon rose, rabâchions celles de notre héros favori Barbe-Bleue, nous mettions en scène les albums Tintin et les oranges bleues ou Le mystère de l’ombre jaune et, bientôt, nous nous mîmes à baragouiner un langage que nous seuls pouvions comprendre. Des psychologues nous ont appris par la suite que cette pratique linguistique est très courante chez les jumeaux, mais la particularité de notre langue gémellaire était de posséder une structure parfaitement organisée basée sur une règle simple : la suppression de toute lettre de l’alphabet non contenue dans les mots orange jaune rose bleu. Par exemple, au lieu de dire : “Alors, qu’allons-nous faire de nouveau aujourd’hui petit frère ?”, nous lancions : “Alors, u’allons-nous are e noueau aujour’u e rère ?”. Cela rendait notre mère à moitié folle, parce qu’elle pensait que nous avions de graves problèmes d’élocution. Avec le temps, nos jeux devinrent de plus en plus sophistiqués : nous apprîmes à maîtriser notre langue gémellaire de sorte qu’elle puisse être comprise par tout le monde, ce qui nous obligea à dresser un inventaire de tous les mots français composés des lettres ABEGJLNORSU. Quand nous rencontrions quelqu’un, nous lui disions : “Bonjour ! On se serre le bras ou la joue ? Saluons-nous en rang. Alors, on se goberge, on joue ? Blablabla !”, au risque de passer une nouvelle fois pour d’incorrigibles originaux. Nous eûmes d’excellentes notes en composition française lorsqu’il s’agissait de décrire nos rêves de contrées lointaines, avec des phrases dont les professeurs ne saisissaient pas toujours la structure, comme lorsque l’un d’entre nous écrivait :
“Nous aurons un arsenal non banal. Un arsenal en or où séjournera l’Argo. On barrera nos gabares sur l’aber, on glanera les sargasses, les aloses, les bélougas, les soles, les barbues ou les goujons. On engrangera sans bornes les belons éburnéennes ou le burgau. L’eau bleue, l’orangejaunerosebleu en regorge.”
Nous avons excellé dans cette pratique jusqu’à l’âge de quinze ou seize ans, puis la fin de l’adolescence et notre retour en France nous ont portés vers d’autres centres d’intérêt plus conventionnels. Aujourd’hui que nous travaillons ensemble, nous avons conservé de cette époque l’usage des couleurs orange jaune rose bleu dans notre pratique picturale, quatre couleurs qui constituent peut-être le symbole le plus profond de nos racines et de notre gémellité.
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OXO : Les couleurs orangejaunerosebleu sont au centre de votre travail. Pourquoi ce choix ?
PLC+K : Ce n’est pas un choix. Ces couleurs se sont imposées à nous entre 1982 et 1984, alors que nous cherchions du nouveau dans le cadre de l’abstraction. La règle du jeu était fort simple : après Yves Klein, il fallait trouver un nouveau système chromique et se l’approprier. Le monochrome c’était Klein, l’achrome c’était Manzoni, l’isochrome c’était Rutault, etc. Nous trouvâmes alors un poème de Saint-Exupéry qui commençait ainsi :
“Si la terre est une orange bleue / Alors la lune est une rose jaune (...)”.
Déjà l’idée était là de faire tenir quatre couleurs dans deux, nous vérifiâmes alors fébrilement si cette idée de la couleur multiple avait déjà inspiré quelqu’un. Ne trouvant rien, nous nous mîmes à faire des monochromes polychromes, c’est-à-dire des tableaux recouverts d’une couche d’orange, puis de jaune, puis de rose, puis de bleu, ne laissant apparaître que la dernière couche. La grande critique d’art américaine Eve Linsky vint nous voir dans notre atelier et nous lui montrâmes nos monochromes polychromes. Elle nous dit que c’était bien, mais qu’elle préférait quatre grands poèmes-anagrammes écrits grâce aux lettres de ces quatre couleurs sur des fonds orange, jaune, rose, bleu : “On jalousa une bergère”, “Général sobre ou à jeun”, “J’orne une rage absolue”, “Egaré sur la bonne joue”. Elle nous dit : les monochromes polychromes c’est de l’abstraction et l’abstraction c’est fini, tandis que dans l’écriture anagrammatique de ces quatre couleurs, il y a ouverture sur la réalité. Nous arrêtâmes donc de montrer nos monochromes polychromes, mais nous continuâmes à en faire. Aujourd’hui il reste ces quatre couleurs, mais ce que nous aimons dans nos monochromes polychromes passés, c’était notre volonté, notre côté obstiné de chercher ce système chromique ; et nous nous souvenons du plaisir que nous avons éprouvé le jour où nous nous sommes dit : ah, nous avons enfin trouvé le monochrome polychrome !
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OXO : Les couleurs orangejaunerosebleu sont au centre de votre travail. Pourquoi ce choix ?
PLC+K : Ce n’est pas un choix. Ces couleurs se sont imposées à nous vers la fin des années 80 et sont liées à notre apprentissage de l’art. “Apprentissage” est un grand mot : pour tout dire, nous avons abordé la peinture en feuilletant un dictionnaire. Nous utilisions souvent le petit Larousse édition 84 pour terminer les mots croisés des Femme actuelle
que notre mère achetait chaque mercredi et n’attachions pas beaucoup d’importance aux illustrations du dictionnaire, peut-être parce qu’elles étaient imprimées en noir et blanc et que nous aimions les couleurs vives (surtout le rose depuis que nous avions vu le tailleur maculé de sang de Jackie Kennedy). Nous connaissions l’œuvre de Gauguin à travers les reproductions des boîtes de chocolat, et c’est à peu près tout. Nous feuilletions donc ce dictionnaire et un beau jour, Dieu seul sait pourquoi, nous nous sommes attardés sur la page “pop art” et nous sommes tournés l’un vers l’autre, comme si nous venions de faire une découverte fondamentale. Ce que nous venions de voir n’était pourtant qu’une reproduction en noir et blanc d’un portrait de Marilyn Monroe signé Warhol. Mais c’était comme une révélation et nous pouvons affirmer aujourd’hui qu’il s’agissait là de notre toute première véritable émotion artistique face à un tableau. Le lendemain, nous n’avions plus qu’un mot en bouche : Warhol. Nous sommes allés à la librairie de Beaubourg pour en savoir un peu plus et nous avons ouvert le plus gros des livres consacrés à l’artiste américain : Andy Warhol, a Retrospective, où nous avons découvert avec ravissement plusieurs portraits de Marilyn, cette fois-ci en couleurs. Fascinés, nous avons ramené à la maison un grand poster du tableau Blue Marilyn de 1964, dont les couleurs étaient : orange, jaune, rose, bleu. Et c’est comme ça que nous avons peint des tableaux avec ces quatre couleurs, pour canaliser un peu notre fanatisme warholien (nous étions bien des midinettes mais quand même pas au point de reproduire bêtement à notre tour des flopées de Marilyn !). Bien entendu, nous avons ensuite connu notre période Œdipe Warhol, consistant à dénigrer l’œuvre de l’artiste après l’avoir adorée (d’où le tableau “Andy Warhol & Air Wick have the same initiaIs” accroché dans nos toilettes), mais les quatre couleurs ont subsisté et elles constituent désormais notre trade mark, notre marque de fabrique.
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OXO : Les couleurs orangejaunerosebleu sont au centre de votre travail. Pourquoi ce choix ?
PLC+K : Ce n’est pas un choix. Ces couleurs se sont imposées à nous par métaphore sexuelle. Nous avions lu dans un magazine gay américain, il y a quelques années, une enquête sur l’utilisation de dildoes chez les hommes de 20 à 40 ans. Un sondage avait permis d’établir un hit-parade du sexe artificiel et de révéler cet étonnant résultat : l’outil utilisé en premier lieu était la... carotte, suivie en deuxième position par la banane puis, tout aussi surprenant, par l’aubergine ! Le godemiché de caoutchouc n’arrivait qu’en quatrième position, sans doute en raison de son prix excessif mais aussi de sa mauvaise distribution : il est beaucoup plus facile de trouver dans l’Ohio une botte de carottes qu’un dildo Jeff Stryker ! Cette étude sociologique qui en disait beaucoup sur la vie secrète des Américains nous amusa tellement que nous transformèrent ces objets en totems figuratifs, mais rapidement notre besoin d’abstraction nous poussa à n’en conserver que les couleurs : l’orange de la carotte, le jaune de la banane, le bleu de l’aubergine et le rose du dildo. Comme vous le voyez, l’apparition de ces quatre couleurs dans notre travail est complètement freudienne !
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OXO : Les couleurs orangejaunerosebleu sont au centre de votre travail. Pourquoi ce choix ?
PLC+K : Ce n’est pas un choix. Ces couleurs se sont imposées à nous grâce à une vieille méthode surréaliste : le conte à rebours. Il s’agit, comme l’a défini André Breton, d’écrire ou de réécrire une histoire à l’envers grâce à un enchaînement spontané de faits ou d’événements qui a priori n’avaient pas de rapports les uns avec les autres mais dont l’inconscient révèle les liens. Afin de définir avec certitude la palette qui nous conviendrait le mieux, nous avons laissé libre cours à notre inconscient : orange, jaune, rose et bleu sont les quatre couleurs qui nous sont venues successivement à l’esprit, à l’un et à l’autre. Pour vérifier leur validité, nous avons défini un point d’arrivée-point de départ : l’année 1919 nous sembla idéale, car c’est la date à laquelle Aragon, Breton et Soupault fondent la revue Littérature, que l’on peut considérer comme le véritable point de départ du surréalisme. Nous n’avions plus qu’à établir la relation entre cette date et les quatre couleurs issues de notre inconscient. Ce que nous avons fait assez facilement : les quatre couleurs orangejaunerosebleu comportent 19 lettres tandis que 1919 comporte quatre chiffres, une sorte de chiasme garantissant par sa simplicité la validité surréelle de notre palette chromatique.
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OXO : Les couleurs orangejaunerosebleu sont au centre de votre travail. Pourquoi ce choix ?
PLC+K : Ce n’est pas un choix. Ces couleurs se sont imposées à nous un peu comme la loi de l’attraction universelle s’est imposée à Newton. Adolescents, alors que nous séjournons au Maroc, nous sommes invités à Marrakech pour assister au mariage de notre amie Oum Milaïd, une jeune Berbère qui a grandi en même temps que nous. En prévision d’une longue nuit de danse et de fête avec les cheikhates, nous décidons de faire un somme à l’ombre des orangers, mais manque de chance, le sirocco souffle tellement fort qu’il nous fait tomber plusieurs dizaines de kilos d’oranges sur la tête. Premier choc. Dans le coaltar, nous parvenons à nous traîner jusqu’à la villa où deux cents convives attendent les mariés. A chaque fois qu’un invité arrive, une kyrielle d’enfants berbères vêtus de djellabas jettent des poignées de pétales de roses. Hélas, Oum Milaïd leur a demandé de nous réserver un accueil très spécial et patatras ! nous manquons mourir étouffés sous trois kilos de pétales. Deuxième choc. Notre troisième choc est plus difficile à expliquer : alors que nous allons enfin apercevoir la mariée, nous voyons arriver brusquement un immense disque jaune qui ressemble fort à un ovni, mais dont l’impact sur nos têtes est bien réel. Une heure plus tard, lors d’un réveil semi-comateux, nous découvrons l’origine de cette rencontre du troisième type : Oum Milaïd, toute d’or vêtue et assise sur un grand plateau doré, a demandé à ses porteurs de courir vers nous pour nous souhaiter la bienvenue mais les maladroits s’étant un peu trop précipités nous ont percutés avec le bord du plateau. Notre quatrième choc, par chance, ne fut qu’un choc mental, mais il imprima de manière indélébile les trois précédents dans nos mémoires adolescentes : après une nuit de sommeil assez agitée à cause de la douleur provoquée par les oranges, les roses et l’or, la lueur de l’aube nous révèle l’un à l’autre une vision d’horreur, celle de nos corps boursouflés, tuméfiés et parsemés de bleus, ultime couleur de cette journée mémorable qui heureusement marqua moins nos chairs que nos esprits.
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OXO : Les couleurs orangejaunerosebleu sont au centre de votre travail. Pourquoi ce choix ?
PLC+K : Ce n’est pas un choix. Ces couleurs se sont imposées à nous en raison de notre fascination pour le saint suaire de Turin. Pour la première fois dans l’histoire, le passage d’une image en négatif devenait un moyen de connaissance et c’est pourquoi nous avons commencé à passer en négatif un grand nombre de tableaux contemporains. L’étude par le négatif d’un Black Painting d’Ad Reinhardt démontre la grande influence de Kasimir Malevitch sur cet artiste. Celle des installations de Christo indique une parenté certaine avec l’œuvre de Pierre Soulages. A partir de 1974, l’œuvre de Jean-Pierre Raynaud et celle de Simon Hantai se confondent formellement comme les deux faces d’une seule pièce. L’une de nos découvertes les plus étonnantes concerne Daniel Buren : le négatif de ses tableaux révèle qu’il n’a subi aucune influence formelle extérieure ! Le tableau Flag vert, noir et orange de Jasper Johns représente en réalité le drapeau américain et le portrait de Georges Pompidou réalisé par Vasarely représente Mandela... Et puis un jour nous avons fait cette découverte extraordinaire : lorsqu’on le passe en négatif, le fond du tableau Leda Atomica de Salvador Dalí devient orange jaune rose bleu ! Ce tableau que nous trouvions fort laid était soudain sublimement beau, de cette beauté qu’on ne rencontre qu’une seule fois dans sa vie, moment d’un intense bonheur esthétique. Persuadés d’avoir découvert le summum de l’harmonie chromatique avec ces quatre couleurs, nous les avons déclarées supérieurement artistiques, avec un aplomb que n’aurait pas renié Dalí lui-même !
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OXO : Les couleurs orangejaunerosebleu sont au centre de votre travail. Pourquoi ce choix ?
PLC+K : Ce n’est pas un choix. Ces couleurs se sont imposées à nous par leur caractère érotique relativement clandestin. Nous ne parlons pas du stimulus sexuel lié à la fonction rétinienne, comme dans le cas du rouge où l’évocation du sang induit l’idée de passion. Il s’agit d’un érotisme plus inconscient et rarement considéré, propre à l’écriture, à la forme du mot. Johannes Itten ayant largement traité de la psychologie des couleurs, il nous semblait intéressant d’étudier tout ce qui n’est pas couleur dans la couleur, c’est-à-dire l’orthographe, la forme typographique et dans une moindre mesure la prononciation. Ainsi pourrait-on établir par exemple une nouvelle théorie sur l’origine érotique de la couleur rose : celle-ci évoque naturellement la chair, mais la sonorité et la graphie du mot jouent un rôle indéniable dans cette évocation, en tout cas dans la langue française : quand on prononce le mot “rose”, on pense peut-être “j’ose”, et quand on voit le vocable “rose”, on y lit sans doute inconsciemment les anagrammes “oser” ou “Eros”. Itten s’était penché sur la combinatoire et la rythmique des couleurs ; nous avons appliqué cette science de la combinaison aux vocables des couleurs, notamment par la technique de l’anagramme. Les couleurs “orange jaune rose bleu” se sont rapidement imposées comme hautement érotiques, d’abord par la combinatoire autonome, puis par la combinatoire multiple. La combinatoire autonome, c’est la technique de l’anagramme appliquée au mot seul. Les anagrammes les plus érotiques du vocable “orange” sont les mots “organe” (“organe sexuel”) et “onagre” (voir l’expression “monté comme un âne”). La couleur jaune, qui évoque habituellement l’urologie dans le langage rétinien, trouve dans l’anagramme un sens proche de la continence, avec le mot “à jeun”, chasteté momentanée dont nous verrons bientôt l’importance dans la montée du désir. Le vocable “rose”, on l’a vu, contient les mots “oser” et “Eros”. Le vocable “bleu” comporte quant à lui le mot “lube”, qui signifie “lubrifiant” (KY, Sensilube, Elbow Grease, etc.) dans le langage populaire anglais ou gay. Bien que parfois dotées d’un fort pouvoir érotique dans l’inconscient collectif, les autres couleurs ne possèdent pas d’anagrammes évocatrices voire pas d’anagrammes du tout : noir (?), rouge (orgue, goure, rogue), blanc (?), violet (?), vert (?), gris (?), etc.
L’étape intermédiaire entre la combinatoire autonome et la combinatoire multiple est la juxtaposition de ces anagrammes : “Organe à jeun, Eros lube”. Que signifie cette phrase étrange ? Peut-être que la chasteté et la continence sont l’antichambre du désir, théorie tout à fait vérifiée par nos propres soins et qui ne saurait être infirmée par quiconque s’abstient de pratiques érotiques pendant une période excédant cinq ou six jours : l’abstinence sexuelle (“organe à jeun”) constitue bel et bien le meilleur lubrifiant du désir (“Eros lube”).
La combinatoire multiple consiste à mélanger les couleurs entre elles afin de définir de nouvelles anagrammes. Les couleurs “orange jaune rose bleu” offrent la plus belle promesse d’amour : “Un bel ange jouera Eros”. Mais annoncent également quelque pratique extrême dorénavant à la mode : “J’arrose un ange éboulé, ou je rase un bel organe”...
De cette sélection naturelle des couleurs est née une palette d’un nouveau genre, “orangejaunerosebleu”, dénuée de toute velléité picturale mais aussi apte que la peinture à exprimer le désir. 221096

24 février 2011

AUTHENTICITE DU FAUX

[AUTricHE+aNTarctICa+arabiesaoudITE+DUbaï
+burkinaFAso+benelUX]

(1) L’authenticité d’un numéro d’oxo n’est pas définie par sa matérialité mais par sa présence dans le répertoire officiel des abonnés. Par conséquent, la copie d’un numéro d’oxo est considérée comme authentique si elle remplace un original perdu ou détruit [cf. Format, Reproduction].
(2) Série de tableaux ou de sculptures revendiquant intrinsèquement leur état de faux. Ex. "Faux Kosuth" [> oxo 2].
(NB. Cette définition est réactivée par la diffusion sur France Culture de l'émission "Portrait d'un faussaire" consacrée à Guy Ribes.)


[Annexe]
Eric Hebborn, qui était considéré comme l'un des plus grands faussaires du monde, est mort le 10 janvier 1996. Nombre de ses dessins ont été vendus comme d'authentiques Bruegel, Corot ou Piranèse, et sa disparition laissera désormais planer un doute définitif sur la véracité de certains chefs-d'œuvre. Cette difficulté croissante à distinguer le vrai du faux pose la question de l'essence même de l'authenticité : quand l'immense majorité du public ne peut pas faire la différence entre un authentique et un non-authentique et que même les experts se laissent berner, où se situe exactement la frontière entre authenticité et conviction d'authenticité ? Autrement dit, le plus important est-il qu'une œuvre soit authentique ou que l'on soit convaincu de son authenticité ? Cette qualité ne serait-elle qu'une cosa mentale ? Ou serait-elle devenue secondaire parce que trop difficile à vérifier ?
Le marché de l'art semble avoir pris les devants avec l'apparition d'enseignes spécialisées dans la copie de toiles de maîtres. A Paris, la Museum Collection (place Vendôme) et la galerie Troubetzkoy proposent un Van Gogh ou un Gauguin pour quelques milliers de francs et la clientèle afflue. On préfère acheter un faux Picasso plutôt qu'un vrai Ducorroy et un faux Matisse plutôt qu'un vrai Kimura. Le faux s'est en quelque sorte institutionnalisé, on l'a réhabilité, après des décennies de honte où les faussaires, tels Fernand Legros, purgeaient de longues peines de prison quel que fût leur génie.
Ce que l'acquéreur achète, c'est évidemment la matérialité de l'œuvre, ses coups de pinceaux, ses couches de peinture, ses couleurs. Il n'en acquiert ni l'esprit, ni l'histoire, garants d'authenticité, même s'il est convaincu du contraire grâce aux émotions qu'il ressent face à la toile, comme si l'authenticité de l'œuvre se situait ailleurs que dans son authenticité.
Peut-être cette sensation est-elle rendue plus crédible par la forme même de l'œuvre copiée : on peut effectivement ressentir une émotion visuelle face à un faux Van Gogh si l'on fait abstraction de son passé : tout se joue dans l'œil et dans une partie du cerveau où l'émotionnel l'emporte sur le rationnel. Qu'en serait-il avec une œuvre jugée moins "rétinienne", comme un statement de Lawrence Weiner, un blow up de Joseph Kosuth ou une définition-méthode de Claude Rutault ? L'authenticité semble a priori essentielle pour chacune de ces œuvres, mais comme l'histoire finit par sacraliser les objets y compris les objets secondaires, on finira par donner autant d'importance à l'inscription sur un mur d'un statement de Weiner qu'au statement lui-même, au blow up de Kosuth qu'au contenu du blow up, et au tableau réalisé par l'acheteur d'un certificat de Rutault qu'à la définition elle-même. Et par conséquent des faussaires vendront de fausses inscriptions murales, de faux blow ups, de faux isochromes. Il faut croire que l'émotion ressentie alors sera du même ordre que celle rencontrée face à un faux Van Gogh, puisqu'il y aura toujours des acheteurs pour acquérir ces faux.
Mais il est peut-être important, pour comprendre ce phénomène, de redéfinir ce qu'est vraiment l'authenticité. L'authenticité est évidemment la qualité d'une œuvre émanant réellement de l'auteur auquel on l'attribue. Un Van Gogh authentique est un Van Gogh réellement exécuté par Van Gogh. Et même si, depuis la Renaissance, l'œuvre n'est pas forcément réalisée matériellement par l'artiste mais par son atelier, son intention suffit à lui assurer la paternité de l'objet. Il arrive même, paradoxe suprême, que l'authenticité d'une œuvre soit reconnue à un objet non réalisé par l'artiste parce que ce dernier en aura décidé ainsi, tandis qu'un objet créé de ses propres mains ne sera pas authentique quand il ne lui aura pas accordé volontairement le statut d'œuvre d'art. Nous avions envisagé, il y a quelque temps, d'acquérir le local du 11 rue Clavel appartenant à Claude Rutault ; ce dernier rédigea quelques notes relatives aux charges de copropriété et nous remit ce morceau de papier à titre d'information ; eh bien, aussi étonnant que cela puisse paraître, ce bout de papier n'est pas un authentique Rutault, tandis que les toiles peintes non par lui-même mais par ses collectionneurs suivant le principe de la définition-méthode seront, elles, considérées comme des authentiques ! Reste qu'à l'instar des dessins que Picasso laissait sur les nappes pour payer ses additions, les quelques lignes consacrées par l'artiste au 11 rue Clavel finiront sans doute un jour par être fétichisées par quelque fanatique et gagneront, par conséquent, leur certificat d'authenticité.
L'authenticité, c'est évidemment aussi, seconde acception, la qualité de ce qui mérite d'être cru (du verbe croire), de ce qui est conforme à la vérité. Ce qui est en question ici n'est plus la volonté de l'artiste mais la capacité de son œuvre à provoquer un sentiment de vérité, de sincérité. Beaucoup d'artistes travaillent à être sincères, même si cela les pousse parfois à faire preuve d'un peu de roublardise, une ambivalence dont le peintre Ben Vautier pourrait être le meilleur exemple. La recherche de vérité est un des fondements de son œuvre, notamment lorsqu'il peint des tableaux d'une simplicité quasi biblique : en 1965, Ben écrit le mot "toile" sur une toile, puis le mot "noire" sur une toile noire. Mais un goût prononcé pour la contradiction l'a déjà poussé à écrire en 1959 "Je suis un menteur", fameux paradoxe qui veut qu'en avouant cela on démontre le contraire (quand j'avoue que je suis un menteur je dis la vérité, et donc je ne suis pas un menteur) et donc le contraire du contraire (je dis que je suis un menteur alors que je ne suis pas un menteur donc je suis un menteur). Avec ses tableaux autodéfinis, Ben commence à défricher un terrain qui mobilisera bon nombre d'artistes en cette seconde moitié du vingtième siècle : le recherche de la vérité. Et notamment la vérité intérieure du tableau (voir également ce que l'on pourrait considérer comme l'ancêtre des tableaux autodéfinis de Ben, qui tente de réconcilier vérité objective liée au tableau et vérité subjective liée au spectateur : "Je suis noir et beau", 1959), celle qui doit rejeter toute perturbation issue du monde extérieur, et dont on retrouve une préoccupation quasi obsessionnelle chez des artistes aussi différents que Joseph Kosuth (qui produit également en 1965 une œuvre autodéfinie : "Self-described and self-defined") et BMPT (en 1967, les quatre membres du groupe stigmatisent la peinture qui les a précédés en déclarant que "l'art est illusion [...] l'art est faux"). L'authenticité serait donc cette forme d'intégrité poussée à son paroxysme et qui par là voudrait montrer sa supériorité sur toute autre forme d'expression.
On n'est pas très loin du "Dieu est vérité" biblique ; comme Dieu est tout-puissant, la Vérité est tout-puissante et n'admet aucune contradiction. C'est sans doute la raison pour laquelle, dans notre société, la vérité continue d'être portée au pinacle, tandis que le mensonge est très mal vu. Un Van Gogh authentique sera toujours considéré comme supérieur à une copie de Van Gogh ou à un faux à la manière de, même si les qualités intrinsèques des tableaux sont équivalentes. Or ce qui est en cause ici, c'est bien la première définition de l'authenticité : on reproche bien plus au tableau de ne par avoir été désiré par le peintre que d'être incapable de provoquer des sentiments sincères d'ordre esthétique.
La question est donc de savoir quelle authenticité a plus de valeur que l'autre. Ce que l'on reproche à un faux Van Gogh, ce n'est pas sa valeur intrinsèque, sa sincérité picturale, mais bel et bien sa volonté de se faire passer pour ce qu'il n'est pas. On rétorquera que les copies vendues officiellement dans les galeries citées plus haut n'ont pas cette prétention : elles admettent leur état de copie. Mais le dire sans conviction, est-ce suffisant ? Un esprit mal intentionné aura toujours la possibilité d'induire le spectateur en erreur, grâce à l'apparence très réaliste du tableau. Pour un faux, la seule manière de gagner son statut de pièce authentique serait non seulement de dire son état de faux, mais de le revendiquer haut et fort, d'en faire son essence même. De fait, le faux gagne en authenticité non plus lorsqu'il tente d'être fidèle à son modèle mais lorsqu'il assume totalement son état de faux. Cela peut sembler paradoxal, mais un faux qui se définit comme faux est aussi authentique qu'un authentique : on en revient au paradoxe du menteur qui s'avoue menteur.
Reste que l'appellation "faux authentique" est pour le moins équivoque. En disant "faux authentique", la langue française révèle un autre paradoxe dû au placement de l'adjectif par rapport au substantif. Alors qu'en anglais ou en allemand l'adjectif se place toujours devant le nom, le français le place soit devant soit derrière, au risque de provoquer quelque ambiguïté. Le contresens est certes limité lorsque le nom est nom et l'adjectif adjectif (voir le célèbre exemple un grand homme / un homme grand). Mais dès lors que les deux mots sont potentiellement adjectifs et substantifs, la confusion devient possible. Un "faux authentique" peut se comprendre de deux façons : 1) un faux qui est authentique ; 2) un authentique qui est faux (dans ce cas, authentique a été substantivé). C'est pourquoi on choisira d'ajouter un adverbe, tel que "parfaitement", pour définir le sens de l'expression : 1) un faux parfaitement authentique ; 2) un authentique parfaitement faux.
Ce qui permet de définir quatre types d'œuvres :
a) les authentiques parfaitement authentiques ;
b) les authentiques parfaitement faux ;
c) les faux parfaitement authentiques ;
d) les faux parfaitement faux.
Quatre catégories dont voici des exemples :
a) Authentique parfaitement authentique : un blow up réellement conçu par Joseph Kosuth : "Titled (Art as Idea as Idea)", définition du mot "Image" (1968).
b) Authentique parfaitement faux : une copie à l'identique du tableau a) qui tenterait ou qui pourrait tenter de se faire passer pour le tableau a).
c) Faux parfaitement authentique : un blow up inspiré de l'œuvre de Joseph Kosuth, qui revendiquerait son état de faux en s'autodéfinissant par la représentation de la définition du mot "faux" tirée d'un dictionnaire : "FAUX n. m. Ce qui est contraire à la vérité. Imitation frauduleuse d'un tableau, d'un objet d'art, d'un acte, d'un timbre, d'une signature, etc." Pour renforcer la revendication de l'état de faux, le blow up serait accompagné d'un certificat garantissant sa qualité de faux parfaitement authentique.
d) Faux parfaitement faux : une copie à l'identique du tableau et de son certificat définis au point c) avec la volonté potentielle ou réelle de se faire passer pour eux.
Ce sont évidemment les deux dernières catégories qui nous intéressent plus particulièrement, les deux premières ayant été largement explorées par l'histoire de l'art. On pourrait multiplier les exemples et imaginer un musée du "Faux parfaitement authentique" doté d'objets réalisés comme suit :
1) Faux Kosuth
Voir ci-dessus.
2) Faux Ben Vautier
Sur une toile noire, inscrire en blanc à la manière de Ben la phrase suivante : "faux Ben". Placer le mot "Ben" sous le mot "faux" afin d'offrir au mot "Ben" la double qualité de signature (le mot "faux" signé "Ben") et de substantif ("faux Ben" = un faux Ben = une fausse toile de Ben). Anéantir cette ambiguïté en plaçant à proximité un certificat garantissant la qualité de faux parfaitement authentique.
3) Faux Joël Ducorroy
Faire composer le mot "contrefaçon" sur une plaque minéralogique noire, tout en ayant à l'esprit que la cédille n'existe pas dans ce type d'écriture. Placer cette plaque au milieu de quatre autre plaques et faire encadrer l'ensemble. Placer à proximité un certificat garantissant la qualité de faux parfaitement authentique.
4) Faux Marcel Duchamp
Acheter une faux au BHV et inscrire sur sa lame la signature "Marcel Duchamp". Par cette action, faire en sorte que la faux devienne le faux, de même que Marcel Duchamp devient Rrose Sélavy. Placer à proximité de la faux un certificat garantissant la qualité de faux parfaitement authentique.
5) Faux Mel Ramsden (Art & Language)
Placer à côté d'une petite toile blanche un certificat décoré d'une frise et contenant le texte suivant : "This painting is certified to be a false Mel Ramsden's Guaranteed Painting". Placer à proximité du certificat un autre certificat garantissant la qualité de faux parfaitement authentique.
6) Faux Barbara Kruger
Sérigraphier sur une toile blanche : 1) en noir : la photo d'un visage recouvert de deux mains aux ongles vernis. 2) en lettres blanches sur des cartouches rouges : les mots "Forgery for sale" ("contrefaçon à vendre"). Placer à proximité un certificat garantissant la qualité de faux parfaitement authentique.
7) Faux Marcel Broodthaers
Inscrire sur une petite plaque carrée la phrase suivante : "100 - This is not a Marcel Broodthaers' work of art". Placer en regard de cette plaque un certificat garantissant la qualité de faux parfaitement authentique.
8) Faux Bruce Nauman
Placer sur une plaque de bois peinte en noir trois néons colorés composant les phrases suivantes : LIE AND LIVE / LIE AND LIE / LIE AND DIE (mentir et vivre / mentir et gésir / mentir et mourir). Placer à proximité un certificat garantissant la qualité de faux parfaitement authentique.
9) Faux Lawrence Weiner
Peindre en lettres capitales noires sur un mur blanc le statement
suivant : "Many forgeries placed side by side to form a row of many forgeries" ("De nombreux faux placés les uns à côté des autres pour former une rangée de nombreux faux"). Eventuellement, placer sur les autres murs de la salle les objets décrits aux points 1 à 8 les uns à côté des autres afin de former une rangée de faux parfaitement authentiques. Placer à côté du statement un certificat garantissant la qualité de faux parfaitement authentique dudit statement.
Avec ces exemples, tout porte à croire que le faux parfaitement authentique pourrait être la manifestation ultime de l'authenticité. Il serait plus vrai que l'authentique parfaitement authentique, parce que ce dernier porte en lui le germe du mensonge, en revendiquant naturellement son caractère authentique alors qu'il prend le risque d'être le modèle d'un authentique parfaitement faux.
Le faux parfaitement authentique, en revendiquant son état de faux, hérite de l'authenticité de son modèle authentique authentique mais lui est supérieur, parce qu'il porte aussi en lui le germe du mensonge (le faux parfaitement faux) mais que le mensonge est sa véritable nature, son authenticité profonde.
Surtout, le faux parfaitement authentique réussit là où les autres ont échoué : la qualité intrinsèque du tableau devient primordiale et place au second plan la volonté de son auteur. L'authenticité intrinsèque du tableau qui revendique son état de faux l'emporte sur l'authenticité de l'attribution à tel ou tel artiste, puisque en l'occurrence l'artiste évoqué n'est jamais le véritable auteur. Le faux Kosuth ne cherche pas son authenticité dans une éventuelle attribution à Joseph Kosuth mais dans sa qualité propre. Le faux Ben ne cherche pas son authenticité dans une éventuelle attribution à Ben Vautier, mais dans sa qualité propre, qui est celle d'être un faux parfaitement authentique.
L'écueil de la paternité reste pourtant bel et bien présent. Les auteurs du présent texte, qui sont par conséquent les auteurs des faux parfaitement authentiques, auront-peut-être la tentation de réaliser quelques-uns de ces faux. S'ils ne le faisaient pas, d'autres le feraient peut-être : la concrétisation de cette idée par d'autres serait-elle alors considérée comme une série de faux parfaitement authentiques ou bien, plus logiquement, comme une série de faux parfaitement faux ? La question ultime étant : le faux parfaitement faux peut-il être la copie d'un faux parfaitement authentique qui n'a jamais été réalisé auparavant ?
Cette angoissante question, ce vertigineux paradoxe nous inciterait plutôt à réaliser tout ou partie de ces pièces, non seulement parce que l'absence de réponse nous plonge dans un gouffre de doute insupportable, mais aussi parce que l'idée nous exalte d'imaginer que des fils spirituels d'Eric Hebborn, dans quelques décennies, entreprendront de copier nos faux parfaitement authentiques et créeront, pour la première fois dans l'histoire, des faux parfaitement faux, quintessence d'un mensonge qui dit par deux fois sa propre vérité.
Pascal Le Coq + Kitschcock 080796
PS. Comment nommer un "Faux Kosuth" qui serait réalisé par Kosuth lui-même ?

18 février 2011

ANAMERIQUE

[ANgola+cAMERoun+mexIQUE]
(1) Adjectif unique pouvant décrire deux positions paradoxales adoptées dans oxo : d’une part l’utilisation de titres anglo-américains dans le but de donner à l’expérience oxo une dimension internationale, d’autre part l’exclusion de ce type d’expression dans le but de résister à la culture dominante.
(2) Ensemble de signes digitaux offrant une double lecture : numérique dans un sens et littéraire dans l’autre. Les trois anamériques de neuf lettres existant dans la langue française (“bobsleigh”, “illisible” et “isoglosse”) permettent de définir de manière intrinsèque le principe anamérique [> oxo 1].



[Annexe]
Tapez 713705 sur une calculatrice et retournez-là : le mot “soleil” apparaît. Cette trouvaille amusa beaucoup de monde dans les années 70 et des artistes tels que Marcel Jacno ou plus tard BP utilisèrent le principe dans leur travail. Ce procédé n’échappa pas à l’Ouvroir de littérature potentielle qui classa le phénomène au rayon des palindromes verticaux, ces mots qui conservent leur sens même lorsqu’on leur fait subir une rotation de 180 degrés. En l’occurrence, il serait plus juste de parler ici d’anacyclique, dans la mesure où le mot obtenu par la magie du renversement est différent du chiffre qui lui sert de base, tandis qu’avec le palindrome, la double lecture, qu’elle soit horizontale (“Esope reste ici et se repose”), verticale (“nounou”) ou les deux à la fois (“SOS” ou “oxo”), permet de retrouver les mêmes mots. C’est pourquoi nous parlerons plutôt d’“anacyclique vertical alphanumérique” ou, pour simplifier, d’“anamérique”.
La double lecture verticale de l’anamérique est rendue possible grâce au dessin très particulier des signes digitaux présents sur le cadran des calculatrices électroniques à cristaux liquides. Lus à l’envers, ces chiffres permettent d’interpréter un mini-alphabet composé des lettres suivantes :
0 = O
1 = I
2 = Z
3 = E
4 = h
5 = S
6 = g
7 = L
8 = B
9 = G
A partir de là, il est relativement simple d’établir la liste de ces chiffres-mots*, que l’on estimera à environ trois cents dans la langue française (noms propres et communs), des variations pouvant intervenir selon le dictionnaire utilisé comme base de recherche.
Outre le fait qu’il détermine un vocabulaire exigu autorisant l’écriture d’une poésie un peu étrange et surréelle (comme le fit par exemple Jérôme Peignot au début des années 90), l’anamérique présente un intérêt troublant pour qui prend la peine d’en examiner attentivement la liste.
Première observation : les plus longs anamériques ne comportent jamais plus de neuf lettres. Pourquoi neuf ? Peut-être parce que c’est le dernier des chiffres, celui qui se situe à la frontière de la liste décimale, comme si cette limite devait régir avec la même rigueur mathématique les mots issus des chiffres. Quoi qu’il en soit, on compte un total de trois anamériques de neuf lettres : il s’agit des mots “bobsleigh”, “illisible” et “isoglosse”.
Ce qui permet de faire une autre observation : ces trois mots issus du hasard, qui sont donc les anamériques les plus longs, se suffisent à eux-mêmes pour définir les principales propriétés de l’anamérique.
Ainsi :
1) Bobsleigh (461375808 = BOBSLEIgh) : de l’anglais “bob”, balancer, et “sleigh”, traîneau, le bobsleigh est cet engin qui se balance de droite à gauche et de gauche à droite pour glisser à grande vitesse. L’anamérique fonctionne exactement selon ce principe : c’est en effet le balancement de la lecture (envers endroit, endroit envers) qui provoque le glissement sémantique propre à l’anamérique, lui permettant ainsi de traîner dans son sillage un double sens, celui du nombre et celui du mot.
2) Illisible (378151771 = ILLISIBLE) : les anamériques sont toujours indéchiffrables au premier abord et constituent une sorte de langage crypté qui n’est pas sans rappeler l’écriture-miroir de Léonard de Vinci ou, de manière plus proche, les messages secrets échangés par Oona Hoffnung et Nephtys Marie Allant dans Les verts champs de moutarde de l’Afghanistan de Harry Matthews. Une illisibilité temporaire pour quiconque est initié, certes, mais une illisibilité réelle pour qui ne sait pas dé-chiffrer, autrement dit abandonner l’idée de chiffre et de nombre au profit de l’idée de lettre et de mot.
3) Isoglosse (355076051 = ISOgLOSSE) : ce terme désigne une ligne séparant deux aires dialectales qui offrent pour un trait linguistique donné des formes ou des systèmes différents (prononciation, écriture, sens, etc.). Dans le cas de l’anamérique, les deux lieux sont d’une part l’aire numérique (champ des chiffres) et d’autre part l’aire alphabétique (champ des mots). Le fait de langue concerne ici la graphie des termes considérés (355076051 utilise les mêmes signes que ISOgLOSSE), la différence intervenant à trois niveaux : orientation de la lecture, prononciation et contenu sémantique.
Ainsi les trois principales caractéristiques de l’anamérique sont-elles autodéfinies. Une autarcie qui porte à s’interroger sur le sens du hasard. La présente exégèse appliquée à l’univers des chiffres et des lettres laisse entrevoir une forme d’humour où le hasard, en effet, n’est plus tout à fait innocent. Des dieux poètes et calculateurs se sont-ils amusés, il y a quelques millénaires, à jeter des ponts entre ces deux mondes radicalement opposés, celui des nombres et celui des mots ? Ont-ils, du haut de leur tour de Babel, soufflé ces mots à double sens et ourdi le principe anamérique pour qu’à la fin du xxe siècle, des écoliers plongés dans leurs Larousse et leurs Texas Instruments puissent inscrire le nombre 713705 et observer le SOLEIL en face ? Ce mystère reste et restera entier, comme tous les nombres du même nom.
Pascal Le Coq + Kitschcock
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